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Closer I am to fine
30 janvier 2007

Funny kind of sad

"Oh appelez moi docteur, et parlez moi encore..."

Je rectifie en avalant une gorgée de thé pour cacher mon sourire, mais les gens se trompent toujours. Et même si je sais que c'est faux, c'est étrange de se faire appeler docteur. C'est surtout significatif de l'étendue de leurs attentes, et ça ça me fait moins rire déjà.

Je regarde les mains d'E. pendant qu'elle parle ; la semaine dernière elles étaient abîmées. Bien cachées sous des mitaines, mais abîmées quand même. Le genre de marques qu'on garde après avoir frappé dans un mur. Elle prétend avoir des démangeaisons qui la font se gratter jusqu'au sang et ma superviseuse gobe. Peut être que si je n'avais pas fait moi aussi toutes ses choses, si l'intérieur de mes bras n'étaient pas veinés de longs fils de nacre blanc je goberai aussi. Moi aussi je me suis arrachée la peau pour remplacer les coupures trop évidentes, trop voyantes... trop connotées. Je calcule la différence d'âge entre nous. Sept. Ou huit. Pour la première fois, ça me parait être le bon écart, assez pour me souvenir de ce que ça fait, suffisamment pour ne pas me faire aspirer dans le vortex que je vois tourbillonner mollement à mes pieds.

Cette gamine est la reine du sauvetage d'apparences, une Bree Van De Kamp en puissance... Et elle le fait avec une telle légèreté qu'on n'a du mal à croire que ça lui coute. Peut être que c'est son mode de fonctionnement, de défense, qu'elle ne s'en rend même plus compte ou que ça lui fait réellement du bien, de sourire comme ça. Avec ce qui se passe dans sa vie, plus d'un aurait pété un câble mais elle elle se pointe toujours chez son psy avec une banane d'une oreille à l'autre "alors cette semaine tout va bien...". Devinant à quel point intelligente et sujet à la cogitation elle doit être, j'ai du mal à croire qu'elle ignore l'aspect fuite vers l'avant de la démarche. Et même si j'espère, un jour, pour elle, la voir taper du poing sur la table, je ne peux refouler une once d'admiration. Parce que ça tient, parce que ça marche, parce qu'elle n'a encore étranglé personne...

Retour au bureau de la permanence, je me ressers une tasse de thé ; je me doute que ma journée est finie mais je dois encore poireauter trois quart d'heure avant de pouvoir me carapater. Ma superviseuse sort d'un entretien et me tend un texte qu'elle a "trouvé" et qui traite... du droit à l'adoption par les homosexuels. [...] Est ce que le désespoir appelle à ce point les coups ? On doit vraiment débattre de ça cette semaine ? Etonnant, vraiment, cette tendance qu'ont les gens à vouloir donner leur avis sur la façon dont leurs voisins mènent leur vie et à croire en plus de ça qu'ils ont quelconque bénédiction à fournir. Non, étonnant, tout ces gens qui s'intéressent à la façon dont je dois mener ma vie, ça me va droit au coeur. Je trouve qu'on manque de recul, pour voir ce que ça donne, vraiment sur plusieurs générations. Visiblement, il ne lui est pas revenu aux oreilles que j'ai mis les points sur les i à son collègue sur le même sujet il y a de ça une poignée de semaines. Mais lui ne signait pas le sésame qui me permettra d'avoir mon année. Pour l'instant, je sais bien qu'elles vont en Belgique, c'est caché et c'est mieux comme ça... parce qu'autoriser ça serait... Protéger des milliers de familles en France ? Je comprends, quelle horreur. Je vous ressers en thé ? Un sucre ? Deux ? Le ton de connivence qu'elle emploie m'amuse au plus haut point ; à 10 milliards de lieux qu'elle est d'imaginer une seule seconde qu'elle parle à une gouine en puissance, manucurée et aux cheveux longs certes, pacsée dans 15 jours et qui compte bien avoir une descendance. J'ignore ce qu'il y a de si jouissif à être prise pour une hétéro, mais l'espace d'un instant je m'amuse comme une folle... En fait, ça m'amuse jusqu'au moment du retour, où seule dans ma voiture s'impriment en grosses lettres les mots de "fuite vers l'avant" et "défense maniaque par le rire". Et je m'en veux presque de n'avoir rien dit, d'avoir pu trouver ça drôle, de m'être laissée emmerder encore une fois, de ne pas l'avoir envoyée promener parce que dans le fond, je me le devais. Tout ces gens n'ont aucune idée de ce que je vis, de ce qu'on peut vivre.

En traversant la zone industrielle, je ralentis et me laisse doubler. La musique à fond, et à l'écart de tout, je hurle un bon coup dans ma voiture. Et je déteste le son de ma voix.

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